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19 1 997 870,98 euros au terme du projet d’état liquidatif ». Une telle motivation voue ordinairement ce type de décision à la cassation 9 . C’est très exactement le reproche que formula le pourvoi : « en effectuant ces appréciations à la date du projet d’état liquidatif de la succession, de façon globale pour tous les ver- sements de M. F... sur une longue période tout en énonçant qu’elle n’était pas en mesure de vérifier l’historique exact de ces versements, la cour d’appel a de nouveau violé l’article L. 132-13 du code des assurances » . 12. - Critique balayée par la Cour de cassation, pour laquelle la décision contestée « a tenu compte de l’âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité des opérations à la date de chacun des verse- ments effectués » . Pour le moins, cette affirmation ne convainc pas. Quelles sont donc les constatations et énonciations qui démontrent une telle prise en compte ? Nous avons beau chercher, rien ne démontre l’existence d’une analyse prime par prime. La motivation de la cour d’appel paraît d’autant plus critiquable que l’arrêt précité du 4 juillet 2007 permet de rappeler que jamais, auparavant, la Cour de cassation n’avait opéré de distinction entre le versement échelonné de primes et le paiement par remploi de capitaux, même d’un montant élevé. B. - L’utilité des opérations 13. - Observons au préalable que c’est sans doute l’une des premières fois que la Cour de cassation approuve la qualification de primes manifestement exagérées, alors que celles-ci ont été versées plus de 10 ans avant le dé- cès de l’assuré. Ce constat conduit à souligner que le terme générique de « requalification » de l’opération assurance-vie, souvent employé en pratique, est susceptible de désigner des mécanismes juridiques très dissemblables qu’il faut se garder de confondre tant ils diffèrent dans leur fondement, condi- tions et effets civils et fiscaux 10 . Particulièrement, la requalification en dona- tion indirecte ou déguisée admise en jurisprudence 11 , parce qu’elle nécessite de caractériser les éléments constitutifs de cette libéralité et le dépouillement actuel et irrévocable du donateur envers le donataire, est uniquement envi- sageable lorsque la souscription ou désignation du bénéficiaire et les décès sont proches 12 . Et encore, est-il nécessaire que le contractant ait conscience de l’imminence de son décès 13 . Le présent arrêt atteste qu’une réintégration fondée sur l’exagération manifeste des primes peut atteindre un contrat dont la souscription et désignation du bénéficiaire sont intervenues bien en amont, plus d’une décennie avant la survenance du décès. 14. - Retenir une exagération dans ce cas n’a rien d’anodin. En l’espèce, au- cun élément porté à notre connaissance ne permet de penser que le contrac- tant alors âgé, au moment du versement de la première prime litigieuse, d’à peine 65 ans, ne disposait alors que d’une espérance réduite de vie. C’est plutôt l’inverse qui semble le plus probable, compte tenu de son niveau de vie dont, par ailleurs, les juges font largement état pour justifier leur position. 9. V. supra, note 5. 10. V., pour une analyse synoptique des différents mécanismes, Guide de l’assurance-vie 2020/2021 : LexisNexis, fiche 36, p. 265. 11. Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, Giusti : Dr. fisc. 2008, n° 11, comm. 217, note Fl. Deboissy ; JCP N 2008, n° 1, act. 105 ; JCP N 2008, n° 24, 1222, obs. Ph. Pierre et R. Gentilhomme ; RTD civ. 2008, p. 137, obs. M. Grimaldi. 12. V. Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-70.927, Alves : JurisData n° 2010-019725 ; Dr. fisc. 2011, n° 3, comm. 116. - Cass. 2 e civ., 23 oct. 2008, n° 07-19.550 : JurisData n° 2008-045528 ; Resp. civ. et assur. 2008, comm. 376, note H. Groutel. - CA Dijon, ch. civ. A, 20 mai 2003, n° 01-495, Ratat : JurisData n° 2003-230892 ; RJF 2003, n° 1317. - CA Chambéry, 1 re ch. civ., 25 oct. 2005, n° 04-2127 : JurisData n° 2005-299318. 13. CA Paris, ch. 1, sect. B, 19 sept. 2008, n° 06/13320. - CA Limoges, ch. civ., 2 e sect., 28 sept. 2004, n° 03-1139, Cts Couturier : JurisData n° 2004-250056 ; Dr. fisc. 2004, n° 53, comm. 937. 14. Par ex.,Cass. 1 re civ., 10 oct. 2012, n° 11-14.018 : JurisData n° 2012-022668. Or, ce qui justifie la dispense de rapport ou de réduction, c’est tout simple- ment que la prime versée est le prix de la couverture du risque. Et il y a donc exagération manifeste seulement si le montant versé est sans rapport avec le risque qu’entend couvrir le contractant. Et c’est naturellement aux héritiers qui entendent obtenir la réintégration des primes de prouver que les primes ne servaient pas une telle finalité. Il est parfaitement évident que plus le sous- cripteur est jeune au moment du versement, plus le risque couvert peut être important et varié. 15. - Pour les juges du fond approuvés par la Cour de cassation, ces verse- ments « ne s’inscrivaient pas dans un projet particulier tel que le financement de frais d’hébergement en maison de retraite et ne présentaient aucun intérêt personnel ni économique mais avaient pour seul but de soustraire l’essentiel de l’actif de la succession au profit d’un seul héritier réservataire » . Cette motivation laisse songeur. D’abord, l’arrêt est peu explicite sur les raisons qui permettent de considérer tous les versements comme une seule et même opération. Le fait qu’ils partagent un mode de versement (prime unique) et un montant élevé semble donc suffire à les considérer chacun comme un élément d’un même tout, poursuivant tous un but unique. Ensuite, le risque par nature est une situation qui peut résulter de l’incertitude sur la durée de la vie assurée. Celle-ci ne se résume pas au financement d’un hébergement adapté au grand âge. Et ce n’est pas au souscripteur d’avancer les raisons qui ont justifié le versement des primes, c’est à l’héritier de démontrer que ces versements ne servaient pas une finalité de prévoyance. Or, par nature, ce risque est particulier et ne se réduit pas à sa dimension économique. En d’autres termes, ce n’est pas parce que le contractant est déjà à la retraite avec une pension confortable que le versement des primes est manifestement exagéré ! 16. - Sans doute l’utilité des primes est-elle établie lorsque les circonstances démontrent la nécessité d’anticiper un financement des moyens matériels de subsistance future en cas de survie pendant le grand âge. Mais ce n’est pas parce que, au moment du versement des primes, une telle volonté n’est pas établie que les primes ne servent pas à financer un risque. Ainsi, le souscrip- teur peut souhaiter disposer d’un patrimoine de plus en plus liquide pour faire face à des dépenses dont il ignore encore la nature et l’importance. 17. - De plus, la référence au montant très élevé de la retraite laisse perplexe. Si nous comprenons bien, avoir peu de revenus peut constituer un indice de l’exagération manifeste 14 , et en avoir (trop) démontrerait également l’inutilité du placement... 18. - Enfin, le constat que l’opération n’aurait pour seul but que de profiter à un seul des enfants revient à déterminer l’exagération par le contenu de la clause bénéficiaire. Or, nous ne connaissons pas en l’espèce son contenu, mais uniquement son effet. Deux situations peuvent être envisagées : celle

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