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18 ASSURANCE-VIE suivant une analyse qui suscite l’approbation l’objet de la réintégration. 1. Des critères dénaturés 5. - Le pourvoi soutenait que l’appréciation de l’exagération manifeste des primes opérée par des juges du fond était doublement erronée, ceux-ci ayant évalué l’exagération d’une manière globale et non prime par prime, en tenant compte de l’état du patrimoine au jour de la liquidation de la succession. Il pouvait s’appuyer sur de sérieux précédents. Spécialement, la Haute Juridic- tion censure avec constance les juges du second degré qui seraient tentés d’évaluer l’exagération manifeste en comparant primes versées et actif de succession : viole l’article L. 132-13 du Code des assurances « la cour d’appel, qui a apprécié le caractère exagéré du versement de la prime non au moment de son versement, mais au moment du décès du souscripteur » 5 . 6. - Ces arguments furent en l’espèce balayés par la Cour de cassation, aux termes d’une motivation qui attire l’attention et mérite d’être reprise in extenso : « Après avoir relevé qu’entre 1995 et 1998, X... F... avait souscrit des contrats d’assurance sur la vie et versé des primes de 368 472,17 euros sur celui ouvert auprès de la compagnie Allianz vie, 457 347,05, 228 673,53, 365 877,64, 365 877,64, 76 224,51 et 60 979,61 euros sur ceux ouverts au- près de la BNP et 143 408,57 euros sur celui ouvert auprès du Crédit du Nord, alors qu’il était veuf, âgé de plus de 65 ans et disposait d’une retraite confor- table de 55 000 euros, l’arrêt retient que ces placements, effectués princi- palement sous forme de prime unique pour des montants particulièrement conséquents, représentant 61 % de l’actif successoral, ne s’inscrivaient pas dans un projet particulier tel que le financement de frais d’hébergement en maison de retraite et ne présentaient aucun intérêt personnel ni économique mais avaient pour seul but de soustraire l’essentiel de l’actif de la succession au profit d’un seul héritier réservataire, de sorte que la preuve du caractère manifestement exagéré des primes versées est rapportée. En l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’elle a tenu compte de l’âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité des opé- rations à la date de chacun des versements effectués, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a estimé que les primes présen- taient un caractère manifestement exagéré » . 7. - Quels sont alors les critères retenus par les juges du fond pour caractéri- ser l’exagération manifeste ? Deux furent mis en avant : le type de versement effectué sur les contrats d’assurance-vie et la situation du contractant au mo- ment du versement. Pour les juges du fond, les versements « ont été réalisés entre 1995 et 1998, alors que M. D... était âgé de 66 à 69 ans, principalement sous forme de prime unique pour des montants particulièrement conséquents, et représentent 61 % de l’actif successoral évalué à 1 997 870,98 euros au terme du projet d’état liquidatif » . De plus, selon les juges du fond, « si M. D... percevait une retraite confortable de l’ordre de 55 000 euros par an, le placement de la plus grande partie de son épargne sur des placements à long terme alors qu’il était âgé de près de 70 ans, ne présentait aucun intérêt personnel ni économique de sorte que la preuve du caractère manifestement 5. V. not.Cass. 1 re civ., 12 nov. 2009, n° 08-20.443 et n° 08-20.541, F-D : JurisData n° 2009-050290 ; Dr. famille 2010, comm. 7, note B. Beignier. 6. Ph. Pierre, L’attribution du bénéfice d’une assurance décès au péril du recel successoral : Resp. civ. et assur. 2009, étude 12, obs. ss Cass. 1re civ., 4 juin 2009, n° 08-15.093 : JurisData n° 2009-048464 : « Les règlements excessifs, par leur importance même, retirent à l’assurance sur la vie sa finalité de pure prévoyance et la font verser dans l’acte libéral ». 7. Cass. 2 e civ., 4 juill. 2007, n° 06-14.048 : JurisData n° 2007-039930 ; Bull. civ. II, n° 182 ; Dr. famille 2007, comm. 176, note V. Nicolas.- V. également,Cass. 1re civ., 30 sept. 2020, n° 19-13.129 : JurisData n° 2020-017389. 8. Sans tenir compte cependant des précédents contrats souscrits. Dans l’affaire, en effet, le contractant avait déjà souscrit des contrats en 1993. exagéré des primes versées est rapportée en l’espèce » . 8. - Il apparaît nettement que l’exagération manifeste est établie en l’espèce par un faisceau d’indices : le versement sous forme de primes uniques de montants importants et l’absence d’intérêt personnel ou économique au pla- cement. A. - Date d’appréciation de l’exagération manifeste 9. - À suivre l’argumentation des juges du fond, l’importance des versements effectués par le défunt permettait de caractériser, avec d’autres éléments, l’exagération manifeste. Nous retrouvons là une pensée commune dans l’es- prit de nombreux auteurs 6 . L’argument surprend à plusieurs titres : d’abord, parce qu’en l’espèce, ce n’est pas moins de huit primes qui furent contestées, pour des montants très différents. Par exemple, le souscripteur versa une prime le 15 avril 1998 de 76 224,51 € et une autre prime le 16 juillet 1999 sur le même contrat de 60 979,61 €. Alors qu’il avait versé le 7 juillet 1995 sur un autre contrat une première prime de 457 347,05 €, puis une autre prime le 30 mai 1996 de 228 673,53 €. Faut-il considérer que, pour la cour d’appel, chacune de ces sommes est trop importante ? Rien, dans l’arrêt, ne permet de caractériser pour chaque prime une disproportion par rapport aux facultés du souscripteur au moment du versement. Car il existe quand même, entre la plus élevée et la plus faible des primes, un rapport de 1 à 7,5 ! REMARQUE : Il nous semble impossible de traiter ces primes de manière différente sans tenir compte de la différence de leur montant et de l’importance du reste du patrimoine au moment de leur versement. 10. - Or, par le passé, la Cour de cassation avait pu considérer que le paiement par un contractant, retraité modeste, d’une prime globale de 228 844,27 € « ne revêt pas un caractère manifestement exagéré dès lors qu’il venait de recevoir une somme de 313 151 € dans le cadre de la liquidation de la communauté » 7 . En vérité, l’arrêt d’appel semble agréger toutes les primes en une seule masse, considérant ainsi l’ensemble des contrats comme une seule opération 8 . Il nous semble que, sans cette analyse globalisante, les deux primes versées sur le premier contrat ne pourraient pas être considérées comme « conséquentes » par rapport au patrimoine puisqu’il faudrait ajouter à celui existant au décès, au minimum le montant des actifs aliénés par la suite à titre de primes, soit 868 859 €. 11. - Or, dans la motivation des juges du fond, n’apparaît qu’une comparaison entre la valeur de la totalité des primes litigieuses avec celle de l’actif succes- soral : « concernant les versements dont les justificatifs sont produits aux dé- bats, ils ont été réalisés entre 1995 et 1998, alors que M. D... était âgé de 66 à 69 ans, principalement sous forme de prime unique pour des montants parti- culièrement conséquents, et représentent 61 % de l’actif successoral évalué à

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