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17 Assurance-vie - Primes d'assurance-vie manifestement exagérées : appréciation et objet de la réintégration Étude rédigée par François Fruleux, docteur en droit, diplômé supérieur du notariat, maître de conférences associé à l'université Paris-Dauphine, consultant auprès du Cridon Nord-Est et Michel Leroy, maître de conférences à l'université de Toulouse 1 Capitole, responsable de la mention Droit du patrimoine, du Master 2 Ingénierie du patrimoine, du DU Gestion du patrimoine professionnel © Droits réservés © Droits réservés Par une décision du 16 décembre dernier, la Cour de cassa- tion affirme clairement que la totalité de la prime manifes- tement exagérée doit être réintégrée dans la liquidation civile de la succession et qu’elle doit être sujette à rapport lorsque le bénéficiaire est un enfant. Au-delà de la confirmation de ces règles majoritairement admises en doctrine, la reconnaissance en l’espèce de l’exagération dans le versement de diverses primes réalisé plus de 10 ans avant le décès de l’assuré interpelle, dans un contexte de plus en plus favorable à traiter les assurances de placement avec clause bénéficiaire comme des libéra- lités. 1. - Dans un contexte où la spécificité du droit à rachat que peut détenir le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie s’étiole de lege lata pour se rappro- cher d’un simple droit de créance 1 , et où la soumission de l’assurance-vie aux règles civiles des successions et libéralités est envisagée de lege ferenda 2 , l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 dé- cembre 2020 3 concernant la question, somme toute banale, de l’exagération manifeste des primes, prend une résonance toute particulière. 2. - Dans cette affaire, un époux marié sous le régime de la communauté universelle, avec clause d’attribution au conjoint survivant, avait souscrit plu- sieurs contrats d’assurance-vie, pour un montant s’élevant, selon les pièces justificatives produites aux débats, à 2 066 860,85 €, voire à 3 104 887 € s’il faut en croire sa déclaration d’ISF pour l’année 2009. Précisément, en l’es- Ndlr : publié in La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 13, 2 Avril 2021, 1146 1. V. CPP, art. 706-155. - Cass. crim., 20 avr. 2017, n° 16-82.842 : JurisData n° 2017-007251 ; Resp. civ. et assur. 2017, comm. 207, note Ph. Pierre. - Cass. com., 9 juill. 2015, n° 15-40.017, QPC. 2. V. le rapport remis par le groupe de travail sur la réserve héréditaire, rédigé sous la direction du professeur Cécile Pérès et de Maître Philippe Potentier, remis au ministre de la Justice, 13 déc. 2019 : www.justice. gouv.fr/art_pix/Rapport_reserve_hereditaire.pdf. 3. Cass. 1 re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17.517 : JurisData n° 2020-021279 ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 56, note M. Gayet ; Dr. famille 2021, comm. 27, note A. Tani. 4. CA Douai, 1re ch., 28 févr. 2019, n° 17/02308, arrêt confirmatif : JurisData n° 2019-003067. pèce les primes furent versées, entre 1995 et 1998, alors que le souscripteur était âgé de 66 à 69 ans. À son décès survenu en août 2009 après la mort de son épouse, la valeur de ces primes fut évaluée à 61 % de l’actif successoral. En exécution des clauses bénéficiaires, toutes ces valeurs furent délivrées par les compagnies d’assurances entre les mains d’un de ses enfants, désigné seul bénéficiaire des garanties. Or, le défunt laissa également à sa succession des petits-enfants venant par représentation de leur parent prédécédé, mort une année avant son auteur. Ceux-ci assignèrent alors leur collatéral en par- tage de la succession et en réintégration de la valeur des contrats dont elle était bénéficiaire. 3. - Les juges du fond firent droit à leur demande 4 : pour les juges d’appel, les primes versées par le de cujus étaient manifestement exagérées au regard de ses facultés, de sorte que l’enfant bénéficiaire devait le rapport à la suc- cession des sommes et des intérêts perçus par elle au dénouement de ces contrats. L’enfant se pourvut en cassation. Il reprocha aux juges du second degré, d’une part, d’avoir apprécié l’exagération manifeste de manière globale et non distinctement pour chaque versement, et en se référant à la consis- tance du patrimoine du défunt lors du règlement de sa succession ; et, d’autre part, d’avoir condamné la bénéficiaire à rapporter à la succession l’intégralité des sommes perçues au titre des contrats la désignant comme bénéficiaire. 4. - Aux termes d’une analyse contestable à laquelle le contexte rappelé à titre liminaire n’est sans doute pas étranger, la Cour de cassation écarte le premier grief, au prix d’une dénaturation des critères d’appréciation de l’exagération manifeste. Elle retient le second, ce qui la conduit à déterminer avec clarté et
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